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Quelques épisodes du premier bouquin

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Tuesday, September 12, 2006

Alzeimort

Alzeimort




Papa est mort



Le dernier jour, c’est à dire, le 4 janvier 2002, l’après-midi, je m’étais rendu à ton chevet, seul, pour une fois, mais bientôt rejoint par ton fils aîné Jean-Marc.

Comme les trois jours précédents, je te caressais doucement la main et je te regardais intensément en me retenant de pleurer. Mes mains avaient envie de toucher ton corps. Tu sentais bon et ta peau était aussi douce qu’elle l’avait toujours été… «Je t’aime papa, je t’aime.» Ce sont les derniers mots que j’ai eus pour toi ce jour là. Mais cette fois-ci, tu étais à moitié inconscient, plongé dans un « coma léger » comme l’avait qualifié le médecin des soins palliatifs, des soins trop tardivement prodigués. Un coma dont tu ne sortirais plus jamais. Quelques heures plus tard le téléphone sonnait, chez moi, pour m’annoncer ce que je redoutais depuis de nombreuses années, l’aboutissement tragique de ta maladie, ta mort…

Je me souviendrai toute ma vie, comme maman et chacun de tes enfants, de ces quatre derniers jours pendant lesquels nous nous sommes succédés à tes côtés pour t’accompagner, pour te témoigner notre affection, notre attachement, notre reconnaissance d’avoir été pour nous ce père exemplaire, ce mari si doux, cet être humain si exceptionnel. Ils t’avaient lié les poignets pour ne pas que tu t’arraches les perfusions qui devaient te faire atrocement souffrir et je revois tes petits poignets meurtris que ma douce femme t’a massé avec un peu de pommade, comme toi tu savais si bien le faire lorsque c’était toi qui tenais le rôle de guérisseur.

Nous avions le droit de te « détacher » pendant notre présence, que tu ressentais. Tu trouvais, au milieu de cette douleur intense, le temps d’esquisser un sourire pour nous témoigner ta reconnaissance d’être venus te voir ou tout simplement pour nous rassurer, comme si tout allait s’arranger, subitement. Tu nous serrais les mains, comme pour prouver que tu étais fort, et tu essayais, malgré tout, de répondre à nos questions, même si je ne comprenais que ta douleur… Ma main effleurait ton visage, puis venait se poser contre pour ressentir ta chaleur et te transmettre tout l’amour je j’ai en moi, l’amour que tu m’as transmis et que je garderai à tout jamais. Je me trouvais face à une cruelle sensation d’impuissance, la constatation bouleversante que je ne pouvais rien faire pour te soulager, alors que moi, ton fils, me trouvait là, tout près de toi, plein de vie à te regarder lentement mourir sans le savoir et à m’entêter à croire qu’il était toutefois possible d’éviter cette issue.

Tes fils et tes filles, accompagnant maman, se croisaient dans les escaliers de l’hôpital ou sur le parking, essayant de se relayer et essayant surtout d’oublier que tu restais tout seul, la nuit, dans ce lit trop grand pour toi, avec l’angoisse de ne plus te revoir vivant. Chacun essayait pendant ces quatre jours d’agonie, de te soulager d’une façon ou d’une autre ou tout simplement d’être là, pour te donner un peu de force. Ma femme, qui semble avoir certains pouvoirs de guérisseur, a essayé de t’envoyer un peu de sa force. Elle a réussi en une journée à faire presque disparaître les marques que tu avais au poignet mais elle m’avait avoué, la veille de ton départ, qu’elle ne percevait plus qu’une petite lueur d’énergie. Elle disait que tu as décidé de partir, que tu étais fatigué et que tu en avais marre. C’est aussi ce qu’a dit mon frère, Pierrot, qui venait souvent, et à qui tu te serais confié, dans un moment de lucidité.

Alors tu es parti, ce quatre janvier 2002, à 20 h, précise l’acte de décès, peut-être un peu avant, peut-être un peu après… Ton petit cœur n’était pas branché sur une alarme, l’infirmière de garde t’a découvert sans vie… Seul, dans ce lit, ce lit trop grand pour toi…

Je me souviendrais aussi toute ma vie du téléphone qui sonne. Aurélie, ma nièce, en pleurs, m’annonce ce que tout le monde redoutait. Et là, je suis perdu, je ne sais plus quoi faire, je ne sais même pas si je dois pleurer tout de suite ou… attendre, plus tard. Je crois que je ne me rends pas compte. Je n’y crois pas, c’est ça, je n’y crois pas. D’ailleurs encore à cette heure-ci, je n’y crois toujours pas…
Aurélie me dit : « On va à Brabois ? (l’hôpital.) Tout le monde va à Brabois !»
Alors, je me dis juste que ce serait bien d’y aller aussi. C’est tout…
Et je pars, avec ma femme, Corinne, comme lobotomisé, ne pensant à rien, ne regardant rien, les yeux fixes et livides, sans un mot. Je décide de conduire… Je parcours le trajet dans la nuit, mes yeux voient mais ne regardent pas. Je parcours à nouveau le chemin que j’ai parcouru déjà quatre jours de suite pour arriver sur le parking de l’hôpital où nous attendons pour rien, une dizaine de minutes, croyant être les premiers… Mais tout le monde est déjà là…

J’arrive dans la chambre et je jette un regard machinal à papa, qui gît sur son lit de mort et je fonds en larmes dans les bras de maman, qui tout près de lui, pleure en silence. Je ne parle pas, parce qu’il n’y a rien à dire. J’entends des phrases qui fusent et je les trouve idiotes, on me propose de toucher le corps de papa. Je ne dis toujours rien. J’ai envie de serrer mes frères et mes sœurs dans mes bras, et je m’exécute, en éclatant à chaque fois en sanglots. Et puis je parle enfin « c’est pas vrai !, je n’y crois pas »… Papa est mort, ça y est, c’est fini. On me dit qu’il ne souffre plus, et j’essaie de me raccrocher à cette idée. Je pense à lui, j’espère simplement qu’il est bien là où il est, qu’on l’a accueilli correctement et j’essaie de l’accompagner là-haut par la pensée. Je me remémore toutes ses qualités, sans doute en oubliant les principales…

Puis je m’insurge intérieurement contre cette injustice qui l’a frappé toute sa vie et qui maintenant nous frappe. Tout à coup, tout m’énerve, j’ai envie de tout casser. Je n’aime pas ce que j’entends, on parle d’un mort, j’ai l’impression qu’on lui manque de respect. Mais je me tais, comme toujours…

Je comprends que cette fois-ci, après toutes les souffrances physiques que cette chienne de vie sur terre t’a réservé, tu aies eu envie de partir, une fois pour toutes, dans un autre monde. Un monde où tu pourrais recouvrer tes facultés, celles dont cette odieuse maladie t’avait privé. Car en dernier, malheureusement, tu n’étais plus devenu que l’ombre de toi-même. Cette maladie de merde, qui détruisait ton cerveau, petit à petit, à la petite cuillère, t’a volé tes souvenirs, tes repères, et l’on te voyait parfois avec l’air paniqué, ne comprenant pas très bien ce qui était en train de se passer…

Cette saloperie de maladie d’Alzeimer, Alzeimort, qui est même allée jusqu’à masquer le retour du cancer, qu’on croyait disparu à tout jamais… Qu’as-tu donc fait pour mériter cette sentence ? Je ne comprends pas ce qui s’est passé, je ne comprends pas cette forme de justice qui fait disparaître dans la douleur les hommes les plus vertueux, et les plus respectueux de leur prochain…

Pourquoi ?

Dans les secondes, les minutes, les heures, les jours, les semaines, les mois et les années, je vais me reposer cette question sans jamais y trouver de réponse satisfaisante, parce que tout cela n’est pas juste, c’est même dégueulasse. Le vice est synonyme de longévité et il semblerait que la gentillesse soit, elle, amenée à ne jamais s’éterniser… Un homme d’une sagesse extraordinaire, d’une bonté sans pareil est parti, et cet homme c’est mon père, mon papa. Mon père est l’unique homme au monde qui n’a pas de défauts. Et il a disparu.

Mon père est un saint homme et je suis fier de sentir son sang qui coule dans mes veines. Sa mort m’est très pénible, et j’essaie de l’exorciser de toutes les façons possibles. Je me force à faire le deuil de l’homme que j’admire le plus au monde et que je prends inconsciemment et consciemment pour modèle. Je trouve que c’est un supplice abominable et je culpabilise comme tous les proches parents. Je regrette de ne pas avoir fait l’effort de prendre ma voiture pour aller voir mes parents certains week-ends. Ou de ne pas les avoir appelés. Je me dis que j’ai perdu du temps, que j’ai gaspillé des moments que j’aurai pu passer avec mon père, lorsqu’il était… vivant.

Il faut passer par ces moments pour faire le deuil paraît-il ; le fait de culpabiliser est normal…

La race humaine enterre ses parents depuis la création du monde, mais cette idée ne me console pas. Combien d’enfants ont ressenti cette douleur ? Et quelle douleur !




Papa je t’aime.



Tu étais gentil, trop gentil parfois. Et comme cela arrive très souvent dans ces cas-là, tu étais vulnérable. La vie n’est pas toujours tendre avec les gens qui sont trop gentils.
Ceux qui t’ont connu, dont certains sont venus à l’enterrement pour te rendre un dernier hommage connaissaient ta bonté, cette fameuse gentillesse qui te caractérisait si bien et la très grande sagesse que tu avais indéniablement acquise. On pouvait également être étonné par cette force que tu avais en toi et cet amour que tu offrais sans retenue à ta famille, aux gens que tu aimais, et à l’humanité en général.

Tu faisais partie de ces rares hommes qui inspirent le respect, qui forcent l’admiration et pourtant tu étais très discret, toujours humble, respectueux de ton prochain, toujours juste et équitable dans tes jugements. On venait te voir, pour tes compétences, tes conseils et tu accueillais tout le monde, toujours, serviable et tellement humain. On aimait ton sens de l’humour inimitable, inné, tes jeux de mots, ta très grande habilité à manier la plume et à faire chanter les mots, la fluidité des textes que tu rédigeais, autant de qualités que je ne pourrais imiter sans les dénaturer (à mon grand regret.)

Je ne peux pas énumérer tes précieuses qualités de peur d’en oublier, je sais que tu étais apprécié de tous et que jamais tu n’as fait de mal à personne, je sais d’ailleurs que tu étais apprécié à juste titre pour ton intelligence et ta tolérance.

Je remercie maman qui t’a toujours soutenu dans les pénibles épreuves que furent tes nombreux problèmes de santé, mais également en toutes circonstances, elle était là, près de toi. Même quand ta maladie devenait insupportable, elle n’a jamais voulu que tu te retrouves ailleurs, dans un de ces établissements glauques, gris et inhumains où tu aurais été privé de l’amour qu’elle t’apportait chaque jour à la maison, parfois au détriment de sa santé. Si maman n’avait pas fait tous ces efforts, tu nous aurais quitté beaucoup plus tôt. Grâce à maman, tu es parti en paix.
Si la vie a fait que tu as beaucoup souffert physiquement, on voudrait se persuader que ta disparition est une délivrance, mais c’est vraiment difficile. Tu nous manques tellement.

Cependant, nous, tes enfants, qui avons eu la chance d’avoir un père exceptionnel, comme tout le monde pourrait rêver d’en avoir un, nous contribuerons chacun de notre côté à continuer à te faire vivre, à travers nos souvenirs respectifs et secrets, ces délicieux moments de tendresse partagée, nos sourires complices, nos paroles échangées dont on se rappelle encore plusieurs années après…Mon petit Papa tu étais un grand homme. Papa c’était quelqu’un, je ne veux pas qu’on l’oublie, papa je t’aime et je t’aimerai toute ma vie…

1 Comments:

Anonymous Anonymous said...

bravo Paul, je chiale devant mon écran!!
Et les collègues ne vont pas tarder à remarquer mon état!!
je file aux toilettes pour m'en remettre!

5:22 AM  

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