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Quelques épisodes du premier bouquin

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Tuesday, September 12, 2006

La Drogue

La drogue



Aujourd'hui, mon meilleur ami Fred est venu chez moi, il avait une mauvaise nouvelle à m'annoncer. J'ai tout de suite pressenti que quelque chose de vraiment grave s'était produit, c'est bizarre, mais j'ai immédiatement pensé à la mort, la mort de quelqu'un que je connaissais. Quand il a prononcé le nom d'un ancien copain que j'ai très bien connu et avec lequel j'ai passé de bons moments, j'ai compris qu'il était mort, même si dans la seconde qui a suivi je me suis répété intérieurement : «Il a peut être seulement eu un accident.» Et puis Fred a tout de suite coupé court à mes espoirs en m'annonçant la terrible nouvelle. Je n'étais pas surpris, c'était étrange ce sentiment de fatalité qui venait de m'envahir. J'avais la soudaine et très désagréable impression que quelque chose de terrible lui arriverait un jour ou l'autre et qu'il mourrait jeune... Je m'en voulais d'avoir vu juste.

Tout de suite après la terrible nouvelle, je me suis rappelé de lui, à l'époque où nous nous fréquentions. C'était quelqu'un qui aimait la vie, passionnément, quelqu'un qui aimait rire, plaisanter. Je me suis rappelé de ces parties de fous rires, des blagues hilarantes qu'il adorait raconter. Il adorait ça raconter des histoires drôles, je sais qu'il jubilait lorsque l'assistance restait pendue à ses lèvres pour connaître l'issue d'une de ses fameuses histoires. Je revois tous ces sacrés bons moments, ces précieux instants de la vie pendant lesquels nous partagions tout. Nous étions un peu fous tous les deux, sans doute parce que tous les jeunes sont un peu fous. Je m'étonne aujourd'hui en constatant avec le recul à quel point nos comportements étaient similaires. C'est vrai, je ne suis pas resté avec lui vraiment longtemps et je n'étais pas avec lui 24 heures sur 24, mais je l'aimais beaucoup, c'était un ami, mon ami, quelqu'un de vraiment gentil. Je sais qu'il ne faisait pas l'unanimité auprès des autres jeunes, plus chastes d'une certaine manière, mais il avait bon cœur et je sais qu'il a souffert de cette mise à l'écart sous-jacente, et peut être inconsciente de certains autres camarades. Sa mort me fait beaucoup de peine.

Toute la semaine, j'avais promis à mon fils que je l'emmènerai avec moi, qu'on irait se promener, il voulait aller sur les manèges ce samedi. Je n'ai pas pu tenir ma promesse. Samedi, c'était le jour de l'enterrement et je voulais être là pour lui rendre un dernier hommage, pour lui montrer qu'il avait beaucoup compté pour moi, que je l'avais apprécié et qu'il était important. J'espérais que d'autres personnes qui comme moi avaient croisé son chemin, l'avaient apprécié tout comme moi et puis perdu de vue, presque oublié, seraient présentes elles aussi...

Fred, lui aussi l'avait bien connu, peut être mieux que moi encore. Une année, ils étaient partis tous les deux en vacances.

On était mal à l'aise dans la voiture de Fred. Nous roulions vers le village où notre ami commun avait grandi. Nous parlions de lui, en fait on se rappelait les joyeux épisodes de notre vie passés en sa compagnie. Arrivés devant l'église, nous pénétrâmes sans transition dans cette atmosphère terrible de profonde tristesse, de détresse muette, de sanglots étouffés. Mon meilleur ami est passé devant, j'avais peur d'entrer. J'ai attendu un peu et je me suis mêlé aux gens qui gravissaient les marches. Je suis arrivé devant sa mère et je l'ai embrassée, elle m'a remercié. Ensuite, il y avait sa sœur que je connaissais très bien, complètement effondrée. Je lui ai serré l'avant bras en signe de compassion et je l'ai embrassée en fermant les yeux, la gorge serrée, le cœur déchiré d'impuissance. Je n'ai pas vu sa deuxième sœur et j'ai évité son père.

J'ai rejoint le groupe d'amis et la messe a commencé. J'ai pleuré lorsque certaines paroles furent prononcées, en plus, le corps n'était même pas là, pour des raisons « administratives » a dit le curé. En fait, le corps devait être autopsié pour déterminer les causes exactes de sa mort. Ou plutôt, pour en être définitivement certain, puisque tout le monde sait déjà que J.P. est mort d'une overdose. Il nous laisse donc là, plantés comme des piquets enracinés dans nos interrogations, scellés par l'incompréhension. Le tout n'est pas de savoir comment c'est arrivé, la réponse sera comme à chaque fois : « C'est une erreur stupide », ce qu'il faut essayer de savoir c'est pourquoi il en est arrivé là. Le savait-il lui-même ? Pourquoi se droguait-il ? Ca va tellement vite des fois qu'on se fait happer par un engrenage infernal sans s'en rendre compte.

A l'enterrement, les parents de mon ami ont essayé de faire passer un message, une mise en garde destinée aux jeunes, à tous les jeunes. Ils ont insisté pour bien faire comprendre que la mort de J.P. devait servir à montrer qu'à force de jouer avec le feu, on finit toujours par se brûler. Tous ceux qui n'ont jamais touché à la drogue en ont été immédiatement convaincus. Cette triste histoire n'a fait que renforcer leurs intimes convictions. Mais les autres, ceux qui se droguent à l'heure actuelle, tous ceux qui ne croient plus en rien et n'espèrent plus rien, la peur de la mort qu'ils viennent de voir d'aussi près réussira-t-elle à les raisonner ? Et pour combien de temps ? Sont-ils à ce point abouliques et inconscients ? Que faut-il faire maintenant, comment faut-il procéder avec ces gens ?

Je suis de ceux qui disent qu'une fois qu'on a commencé à rentrer dans ce processus infernal, on a peu de chance de s'en tirer sans séquelles. La drogue procure-t-elle donc des sensations si vertigineuses pour qu'autant de mortels s'adonnent à ses charmes ? Est-ce vraiment exceptionnel ou alors n'est-ce pas une sorte de signe de ralliement entre des membres d'une union ésotérique qui de par cet acte répréhensible proclame à sa façon ses idées anarchiques ? Est-ce que c'est un jeu aux sensations inimitables pratiqué par des gens normaux dont le seul défaut est d'aimer le risque ? Le risque est bien sûr présent à la première fois et jusqu'à la dernière, mais plus on avance dans le cloaque de l'accoutumance et moins on garde à l'esprit ce garde fou pénible. La dose devient un besoin vital et il n'y a plus que ça qui importe, le risque, on fait comme s'il n'existait plus, le reste est superflu. C'est là qu'on sombre, quand on perd cette notion de valeur des choses, quand on ne perçoit plus les événements tels qu'ils sont vraiment. Il n'y a plus de jeu, plus guère de sensation, le charme caractéristique de cet acte interdit s'est désintégrée, complètement. Il n'y a plus de rebelles qui forcent l'admiration, il n'y a plus que des marginaux sales qui effraient tout le monde ; il n'y a plus que des loques humaines et fantomatiques toutes dépenaillées, des corps qui jonchent un sol gras d'excès passés, qui agonisent, la respiration capricante et qui délirent dans leurs geignements d'extase mortelle, les yeux dans le vide, le regard froid...

Les drogués sont tous de grands malades, des victimes, menteurs comme disait J.P., on ne peut plus leur faire confiance. Voyez maintenant où est mon ami, lui qui se croyait invincible, lui qui nourrissait tant de projets, lui qui aimait tant rire, lui qui aimait la vie autant que n'importe quel jeune, lui qui voulait s'en sortir, lui qui croyait encore il n'y a pas si longtemps qu'il pourrait s'en sortir...

La date de son décès coïncidera avec celui de sa naissance, à trois ou quatre jours près. Il avait vingt-six ans et ce sont ses propres « amis » qui lui ont offert le « cadeau » : une bonne dose de cocaïne pour fêter l'événement, c'est un cadeau de valeur, pour lui prouver qu'il compte beaucoup, que c'est un ami que l'on aime. Il n'a pas refusé ce cadeau empoisonné, il est tombé dans le coma et est décédé quelques jours plus tard.
Des morts par overdose, il y en a tous les jours et elles ne changent rien. J'ai du mal à croire que la mort de mon ami puisse servir à quelque chose.

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